Buja Sans Tabou

Introduction

Les efforts d’institutionnalisation de la Culture au Burundi datent de la fin des années 1970. En 1977 plus précisément, il a été créé au Burundi un ministère en charge de la culture. Le besoin de mettre en place une politique culturelle se faisait sentir. Cependant, ce n’est qu’en 2007 que le pays se dote d’une politique culturelle nationale. Quelques années plus tard (en 2019), cette politique publique va être révisée par des experts, professeurs d’universités et techniciens du ministère en charge de la culture pour être plus en accord avec notre temps. Néanmoins, ce nouveau document ne sortira jamais des tiroirs ministériels dans lesquels il a été relégué jusqu’à nos jours. Après la participation à la discussion sur la Politique Culturelle au siège de Buja Sans Tabou (BST), je suis convaincu, personnellement, que le Burundi aurait beaucoup à gagner dans l’adoption de la politique culturelle actualisée.

Notion de Politique Culturelle

La notion de Politique Culturelle renvoie à deux concepts : les concepts de (i) Politique Publique et (ii) Culture. Le concept de politique publique est plus ou moins facile à saisir, c’est plutôt la notion de culture qui peut paraître nébuleuse du fait de sa polysémie. 

Le terme de « politique publique » est assez récent. Il a été introduit dans le langage des sciences politiques et administratives vers les années 70 comme traduction littérale du terme « public policy ». Il se distingue de « la politique », qui désigne les activités et les luttes d’acteurs politiques traditionnels (notamment partis politiques, groupes d’intérêts, syndicats ou nouveaux mouvements sociaux) visant la conquête du pouvoir législatif ou gouvernemental dans le respect des règles constitutionnelles et institutionnelles.

L’orientation d’une politique publique traduit donc généralement un choix intentionnel d’un gouvernement, ce choix se faisant parmi plusieurs options possibles, voire des fois concurrentes. L’idée de politique publique renvoie frontalement à la notion de service public. La notion de service public implique l’existence d’un bien commun et désigne une activité ou une mission d’intérêt général. Une politique publique se conçoit, dès lors, comme une réponse qu’un gouvernement apporte à un enjeu d’intérêt public conduisant ce dernier à prendre certaines mesures. Ces mesures peuvent concerner les compétences des pouvoirs publics et les différentes actions à mettre en œuvre pour répondre à cet enjeu.

Etymologiquement, le terme de culture vient du latin « cultura », qui signifie « action de cultiver », venant lui-même de « colere » (« cultiver »). Le concept de culture va émerger à partir des années 1930 mais il sera juxtaposé au concept de « civilisation » jusque vers les années 1960. De nos jours, nous pouvons distinguer deux acceptions dominantes de la notion de culture. La première désigne la culture comme ce qui n’est pas de la nature, la seconde désigne la culture comme une « sphère artistique différenciée » : ce qui est commun à un groupe d’individus et « ce qui le soude ». Ces acceptations vont aider plusieurs organisations, dont l’UNESCO, à définir ce qui relève de la culture. Selon cette dernière, « la culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

En règle générale donc, les politiques culturelles sont les priorités désignées par les pouvoirs publics en matière de culture. La politique culturelle peut ainsi être considérée comme un instrument de valorisation des normes et valeurs du système social. C’est un ensemble d’actions et de mesures construites par des idées et des pratiques politiques et administratives appliquées à des biens, des activités et des acteurs culturels variés. Qu’est-ce-qui pourrait dès lors pousser un pays comme le Burundi à investir dans une politique culturelle plus efficace ?

Politique Culturelle comme instrument de démocratie et de cohésion sociale

La société est une production sociale dont l’organisation en système est fortement influencée par la culture des populations qui la composent. Réciproquement, les cultures sont produites dans un cadre social défini par le système social et leurs expressions y sont conditionnées.

Les pratiques culturelles, qui peuvent être définies comme « l’ensemble des activités de consommation ou de participation liées à la vie intellectuelle et artistique, qui engagent des dispositions esthétiques et participent à la définition des styles de vie : lecture, fréquentation des équipements culturels (théâtres, musées, salles de cinéma, salles de concerts, etc.), usages des médias audiovisuels, mais aussi pratiques culturelles amateures », constituent un vecteur de socialisation et donc de lien social. Ces pratiques créent des liens, réels ou imaginaires, entre des individus ou des groupes d’individus. Cela contribue au développement de sentiments d’appartenance, au développement d’identités sociales, la culture donne donc un sens à l’existence des personnes. Le sens, le sentiment d’appartenance, etc. étant des ressources pouvant être exploitées par l’individu pour développer ses capacités sociales et par conséquent multiplier ses liens sociaux et faciliter son intégration sociale.

La politique culturelle peut être considérée comme un instrument de valorisation des normes et valeurs du système social. La politique de démocratisation de la culture vise, d’une part, à réduire les inégalités d’accès à la « culture légitime » et, d’autre part, à promouvoir une culture commune à l’ensemble des citoyens, une culture nationale. Il y a une volonté de transformation des structures sociales en sortant du rapport conflictuel entre les classes sociales dans le but de tendre vers l’union nationale. Ceci signifie déplacer les liens fondateurs de l’identité individuelle du cercle de la classe sociale vers le cercle universel de la nation.

Les biens et services culturels ne peuvent être considérés comme de simples marchandises car ils véhiculent des valeurs, du contenu et du sens. L’incidence de la création artistique sur l’imaginaire collectif et sur la production d’identités fabrique du lien social et contribue à prévenir des comportements et des replis communautaristes.

Les politiques culturelles sont également des instruments de création et de pérennisation d’un environnement favorable à la liberté de création des artistes. Les politiques publiques de la culture reconnaissent la place et le rôle des artistes et des professionnels de la culture dans la société, favorisent la liberté de création par le développement d’un cadre juridique, social et économique approprié. Elles sont garantes de la diversité des expressions culturelles, de la pluralité des formes et des genres et de leur renouvellement. Elles favorisent aussi les activités artistiques pratiquées en amateur, facteurs de réalisation personnelle et de lien social.

Politique Culturelle comme facteur de développement économique

Les politiques culturelles ont largement contribué au développement du secteur culturel dans le monde. Par sa créativité, ses emplois, son rayonnement, la culture est un puissant facteur de développement économique. L’industrie du livre, du disque et du cinéma, la promotion de l’artisanat et du tourisme culturel procurent aux Etats des devises, créent des emplois et génèrent ainsi des revenus. Par exemple, les industries culturelles et créatives ont généré 74 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2011, soit 2,8% du PIB et elles employaient 1,2 millions de personnes, soit 5% de l’emploi intérieur total. Le secteur du cinéma et de l’audiovisuel représentait 19,3 milliards de chiffre d’affaires et 282 358 emplois. Le spectacle vivant représentait, quant à lui, 8,4 milliards de chiffre d’affaires et 267 713 emplois. La musique, enfin, représentait 8,6 milliards de chiffre d’affaires et 240 874 emplois. D’après plusieurs rapports, le poids économique de la culture dans le PIB dans ce pays ne cesse d’augmenter depuis les années 1960.

L’avènement d’internet a bouleversé les modes de production, création et de diffusion de biens/services culturels pour le meilleur et dans une moindre mesure pour le pire. Internet ouvre les portes à toute une variété d’expressions culturelles, il matérialise plus rapidement l’imaginaire des créateurs et la production de nouveaux contenus multimédias. Il est souvent dit que l’artiste crée sans « s’assujettir à des contingences financières et que l’offre en matière d’art et de culture se superpose rarement à la demande », néanmoins, les artistes – comme tout le monde – doivent pouvoir vivre de leur travail. Le numérique et la dématérialisation qui l’accompagne engendrent une offre de biens culturels abondante, diversifiée et abordable surtout dans le domaine de la musique et dans une moindre mesure pour l’audiovisuel et le cinéma. Cependant, cette révolution numérique – si elle n’est pas bien régulée – peut freiner le développement des artistes dans le sens où elle permet des fois une consommation « gratuite » de leurs œuvres.

Pour conclure …

Comme mentionné précédemment, le Burundi a enclenché le processus d’actualisation de la Politique Culturelle de 2007. Cependant, ce processus s’est achevé en queue de poisson en 2019. Les principaux objectifs assignés à la politique de 2007 était (i) la création de conditions favorables au développement des expressions culturelles ; (ii) la promotion des expressions culturelles des créateurs en leur dotant de moyens nécessaires à l’exercice de leur art ; (iii) la stimuler de l’esprit de compétitivité artistique ; (iv) l’intégration de la culture dans les programmes de développement ; (v) le renforcement des capacités des professionnels des métiers d’art et de la culture ; (vi) la promotion de l’industrie culturelle ; (vii) la protection du Droit d’auteur et des droits voisins ; et (viii) la promotion d’échanges culturels et de la mobilité des artistes. 

Ces points semblent coïncider avec les objectifs généraux de toute politique publique de la Culture, espérons que la mise à jour de cette dernière a pris en compte les aspects liés à la démocratisation/cohésion sociale, développement économique et aux Droits Humains pour assurer le rôle primordial de la Culture comme vecteur de développement durable du Burundi. Le gouvernement devrait finir le processus de renouvellement de cette politique publique puisque la prise en compte de la dimension culturelle dans le processus de développement d’un pays est une nécessité incontournable pour une promotion d’un développement durable. En effet, il est reconnu que l’échec de certaines initiatives de développement durable prend généralement racine dans l’absence d’une connaissance du milieu culturel dans lequel elles sont déployées.

 

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