Qui va élever et émouvoir les cœurs des gens avec une construction syntaxique digne d’un discours révolutionnaire ? Je dis :”Dansons !”. Danser pour émouvoir et révolter : voilà ce qu’était le plan ces 3 et 4 décembre 2022 à Buja Sans Tabou ou a eu lieu la présentation de la pièce « Le Corps que j’habite», une œuvre originale de Élie Nannza combinant la danse et le théâtre.
Un homme, habillé en costume sombre, un casque de motard sur la tête, un t-shirt macéré de sang et 3 ostensibles points d’exclamation sur le torse est sur la scène. Près de lui, 2 autres comédiens en même tenue, pieds nus, mais eux sans casques, gisent à même le sol, inertes. Ouverture.
Un monologue de jérémiades donne le ton : « Ma vie est une maison cubique colorée en fond rouge. Elle a un sol en terre battue avec de la poussière du Sahara. Une marmite alimentée de tristesse la fait chauffer, il y fait très chaud. J´ai envie de courir. Je veux sauter au-dessus d’une girafe. Boxer un éléphant. Dribbler une fourmi, vivre dans une fourmilière. Marcher sur les murs, sourire au monde. Compter les briques, admirer les rides de ma mère. Détruire la planète avec mes yeux. Aimer les arbres. Déchirer toute forme d’injustice. »
Et le corps qui se prête au jeu, ça danse. Par les gestes et par les mots, Élie Nannza, Young Treezy et Olivier Hakizimana performent schématiquement une vie en affres, une société fragilisée par des conflits à ne point en finir. Dans le fond, on entend des chocs métalliques, des balles qui sifflent, des musiques funèbres. Horreur. Dans un environnement pareil, Olivier, acteur principal, n’a qu’à se répandre en gémonies, s’indignant contre ceux qui « forniquent avec la mort ».
Pourtant, quand il était jeune et qu’il lui était encore permis de rêver, Olivier rêvait de devenir « quelqu’un » pour changer le destin des siens. « Je voulais tuer le mal. Sauver le monde. Aimer. Vivre. Tomber. Je voulais manger les nuages. Détourner la rivière avec mon souffle. Admirer les rides de mon père et de ma mère.»
Mais plus tard, la vie va balayer ses illusions et sa jeunesse se révélera un calvaire :« Ma jeunesse est une ébauche, elle est calquée, éclatée et enduit avec de l’encre indélébile d’une couleur intense, vive. Celle d’un stress post-traumatique, d’une anxiété sociale ou d’un acte de viol tout court.»
Mais Olivier ne compter pas en rester là, à s’apitoyer sur son sort, il lance un message qui en même temps résume le but de la pièce de théâtre. Il dit : « Cultivons les racines d’un arbre artificiel là où on pourra tous être des rois. Oui ! Marchons sur un fil dentaire, nous pourrons y faire passer nos Jeeps pendant qu’elles transporteront la délicatesse verbale dans nos histoires. Lessivons les draps jaunis par les pas pressés dans les rizières. Suçons le miel avarié autour de la bouche pulpeuse de ton nouveau-né ! Du Sucre pour toute la nouvelle génération ! Du bonheur ! De la joie ! De l’amour ! Dansons !»
Danser nos malheurs, jouez nos peines.
Des danses parfois désinvoltes, parfois entraînées, la pièce « Le corps que j’habite » relate le vécu d’un enfant qui grandit en période de guerre. Interprétée par 3 acteurs dont un seul parle tout au long de la pièce : logique quand on y pense. C’est de notoriété publique que les opprimés ne parlent pas, seuls quelques révoltes parmi eux peuvent prendre la parole et s’exprimer en leur place pour réclamer leurs droits et c’est le jeune Olivier Hakizimanace qui joue le rôle du révolté, la voix même de ses compères martyrisés.
De la fable, même imagée, même discontinue, à la « pure » action de danser, « le corps que j’habite » ne dit rien et ne fait rien d’autre qu’interpeller sur les conséquences, surtout sur les enfants, des guerres. Son message est aussi celui de la résilience : « Danser malgré tout.»