Buja Sans Tabou

 

Une femme, au milieu des photos suspendues, elle danse au rythme d’une ballade pastorale. Dans l’autre pièce, un homme cloitré dans le réfrigérateur. D’une voix posée et neutre, elle  revisite, questionne et regrette, son passée d’arrière-fille de colon. Face à tout cela, un public qui assiste à travers les grillages. Une mise en scène, originale dès le départ. 

Et puis des discussions qui vont dans tous les sens ; Relations entre colonisateurs et colonisés, un reportage de la Rfi sur l’héritage colonial allemand au Burundi ; des indemnités pour les crimes commis dans la colonisation ; le questionnement des valeurs : les nôtres sont-elles identiques à celle des autres ? Supérieures ? « Ubuntu bw’abadagi harico bupfana n’ubuntu bw’abarundi ?»

D’une pièce à une autre de la maison de Buja Sans Tabou et puis de l’intérieur de la maison, à l’extérieur dans la cour. Le public qui dans un étonnement continuel suit l’évolution de la pièce, Merge pour dire le moins est éclectique.

Et pourtant, Merge n’est pas même le nom de la pièce qui est éclectique au point que même les auteurs ne peuvent en trouver une appellation. « Cette pièce, c’est vraiment à vous de lui donner le nom car de notre côté, nous ne sommes pas arrivés à lui trouver un nom», s’écriera  Josué Mugisha, le metteur en scène à la fin de la pièce. 

L’histoire pourtant commence longtemps avant : en 1926. L’année ou débarque Jean Borgers, un colon allemand,  arrière-arrière -grand-père de la narratrice Claudia. Kay quant à lui, cloitré dans un réfrigérateur se pose la question : «qui suis-je?»

Car…

Entre la guerre et la paix,

Entre les pleurs et les rires,

Entre l’amour et la haine,

Entre la douleur et le plaisir

Entre la vie et La mort j’ai embrassé la terre

Au milieu de ce vacarme, de cette sève rouge qui coulait, ma terre m’expulsa vers une terre étrangère <Terre deux> heureusement elle m’a accueilli, plus tôt m’a adopté, allaité et éduqué. Me voici grandi, mes racines me réclament.» 

Glacé, congelé et perdu dans ses jérémiades, il n’en est tiré que par sa compagne Claudia qui lui annonce que le pays  réclame 36 milliards d’indemnité pour les torts causés par la colonisation allemande. 

Pour lui c’est une blague, une indignité, que d’imposer une somme pour les crimes commis lors de la colonisation. Entre les deux, les points de vue divergent. Claudia est pour la restitution matérielle et immédiate alors que Kay est pour une restitution «mentale», celle qui consiste à ce que les allemands acceptent juste qu’ils ont commis des crimes. 

  • L’argent ne suffit pas et d’ailleurs sur base de quoi ont-ils fixé ce montant hein? la sueur, le sang, la fatigue,…ont-ils pensé à tout ça?  
  • il est surtout question de les conscientiser sur ce qui s’est passé aussi que leur jeunesse comprenne et voie que l’Occident n’est pas maître de justice comme ils le prétendent. 
  • La restitution devrait être avant tout mentale. 
  • Mental oui matérielle aussi. Ce processus de vouloir faire des choses en étapes retardent l’exécution de notre émancipation. 
  •  Le problème est là, tu ne penses pas qu’on devrait tout d’abord leur demander de reconnaître leurs tort ?de demander pardon et ensuite payé des indemnités?
  • Des excuses oui mais il nous faut toujours une réparation/restitution pour les biens pillés et cela peut prendre plusieurs formes dont l’argent. 

Et le changement complet de décor Claudia en tenue de reine, tout blanc vêtue, trônant sur le sommet d’un siège fait de sacs gonflés de sable, et ce petit chant qu’elle entonne critiquant les colonisations et les dérives sociales qu’elle a engendré résonne dans le public, comme un cri de révolte, Et les spectateurs qui deviennent comme des fous en dansant, en sursautant…et les scènes qui s’enchaînent avec les comédiens qui s’entremêlent avec le public, les langues qui s’entremêlent, le kirundi, le français…

Finalement, Merge a une grande histoire à raconter : l’héritage de la colonisation en général, la colonisation allemande en particulier. C’est juste qu’il faut être intelligent et attentif pour l’appréhender, surtout avec ce changement perpétuel de décor, ces histoires développées en fragments, ces interactions improvisées avec le public… La dernière scène qui est celle où sur une toile est projetée les différentes réactions du public enregistré tout au long de la pièce semble être une façon de nous narguer de la part des comédiens en nous disant plein dans la face on-vous-montre-comment-vous-aviez-été-touchés-par-la-pièce-au-point-que-vous-en-étiez-devenus-comme-des-fous-dans-un-asile.

Coup de chapeau pour les comédiens ; Claudia, Alain Kay et surtout pour l’acteur et metteur en scène Josué Mugisha et toute l’équipe de scénographie, MERGE est un chef d’œuvre sur tous les plans. Une de ces pièces où la mise en scène dame le pion au texte, qui lui-même, disons-le n’était qu’un pur délice.

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