Buja Sans Tabou

“Les larmes de crocodile”, comme un tableau d’un maître…

Mi-chemin entre le théâtre et la danse, “Les larmes de crocodile” est un spectacle d’une esthétique et d’une virtuosité qui méritent une reconnaissance artistique. Principalement vu comme une œuvre engagée, il est rarement apprécié comme une œuvre d’art qu’on doit admirer tel un tableau d’un maître. Il faut le dire,”Les larmes de crocodile”, ce n’est pas un spectacle comme les autres. Décryptage.

Regarder “Les larmes de crocodile”, c’est comme observer un tableau de Sandro Botticelli, une fresque de Michel Ange ; c’est écouter “Le Requiem” de Mozart, c’est tout simplement admirer une œuvre d’art ! Et comme tout immense œuvre d’art, il présente sa part de complexité, ce qui d’ailleurs augmente son admiration. L’œuvre est engagée certes, et on pourrait revenir sur son apport pour la société mais je me permets d’aller au-delà du contexte social pour parler de la virtuosité de l’œuvre (ce qui n’est pas d’ailleurs facile).

“Le plus beau spectacle jamais observé à Bujumbura”

Linca Lyca, comédienne et chargée de l’administration au sein de Buja Sans Tabou considère “Les larmes de crocodile” comme “le plus beau spectacle jamais observé à Bujumbura” et il faut dire que la jeune femme en a vu beaucoup à Bujumbura. Ceci démontre l’admiration que même les artistes ont pour ce spectacle. En effet celui-ci présente ce quelque chose de plus que les philosophes et les grands critiques d’art se sont arrachés les cheveux depuis la nuit des temps en tentant d’expliquer : le beau.

Il serait difficile d’expliquer et de donner un aperçu de ce spectacle. D’abord, il réunit plusieurs styles de danses( danse contemporaine, street dance, danse traditionnelle,…), théâtre et même de l’humour et tout cela est bien coordonné ce qui laisse le spectateur dans un état de bonheur.

Oeuvre d’art ?

Quand on regarde “Les larmes de crocodile” nous sommes saisi par sa complexité mais en même temps par sa façon d’aborder des thèmes sociaux avec une grande aisance. C’est un spectacle complexe car il est un mélange de plusieurs arts mais on ne peut que se laisser guidé par les pas des danseurs car il est exécuté avec brio. On se laisse aller, admirant l’ingéniosité et l’esthétisme des danseurs et danseuses et surtout de la musique choisie pour les accompagner.

Et il faut qu’on mentionne la manière dont ce spectacle respecte bien les bases du Storytelling. Nous sommes embarqués dans une histoire bien racontée avec des hauts et des bas, des nœuds, des moments de suspens qui font ressortir en nous toutes sortes d’émotions.
On vit le spectacle : quand un des danseurs gifle un autre pour montrer un moment de violence, le spectateur est saisi par le réalisme de l’acte, lorsque les hommes se font transporter par leurs femmes (une des actes dans le spectacle qui sert à montrer le traitement inhumain que subit les femmes dans un foyer), nous sommes particulièrement saisi par la douleur que les jeunes femmes ressentent, etc.

L’écrivain et journaliste Burundais, Roland Rugero qui a écrit aussi sur ce spectacle mentionne le caractère artistique de celui-ci et surtout du rôle d’un artiste dans une société comme la nôtre:”Si l’artiste n’a pas de mot propre en kirundi pour le désigner, souligner sans ambiguïté dans l’entendement populaire la portée de son identité, comment est-il accueilli par la société burundaise ? Voit-elle en lui un vecteur de changement, un simple porteur de message, ou sommairement un bouillonnement d’hormones à ranger dans le folklorique? Dès lors, comment ne pas le suspecter de n’être autre chose que ce qu’il est avant tout, à savoir un « créateur »? De qui porte-t-il ce qu’il fait?”

Si aujourd’hui, nous arrivons à regarder “Les larmes de crocodile” avec des larmes sur le bout de nos yeux,c’est parce que derrière, il y a eu un “créateur”. Les artistes d’ Irivuga Art Company n’ont pas seulement créer un spectacle, ils ont créé une œuvre d’art, et qui va exister dans “Les Mémoires” pour une éternité comme un tableau d’un grand maître.

3 Comments
  • Christophe Niyongendako
    4:03 AM, 4 juillet 2021

    Merci pour ce beau texte .Ça me donne la lumière sur ce qu’ est les Larmes de croco .Moi qui n’ étais pas présent le soir de sa présentation

  • Rachelle Agbossou
    4:35 AM, 24 août 2021

    Merci pour le résumé de cette pièce chorégraphique, mais aucune mention n’est faite du chorégraphe et directeur artistique de Larmes de crocodiles M. Feri de Geus et de La Fondation Le Grand Cru des Pays-Bas dont les différents professeurs ont assuré la formation des danseurs et comédiens de Irivuga Art Company pendant la résidence qui a abouti à la création de ce chef-d’oeuvre artistique.

    Je suis Rachelle Agbossou, chorégraphe Béninoise et j’ai travaillé sur ce projet d’atelier avec les danseurs et comédiens de Irivuga Art Company.

  • Feri de Geus
    8:54 AM, 15 mai 2023

    Faisant écho à mon estimée collègue Rachelle Agbossou, je m’étonne qu’il soit apparemment trop difficile de reconnaître que quelqu’un utilise sa connaissance de l’art du théâtre et de la danse et son amour des artistes pour créer un spectacle qui touche un public. Le fait que cette personne soit blanche et de culture européenne est-il trop compliqué pour reconnaître qu’il a réalisé une œuvre speciale avec son team artistique et en collaboration avec un groupe d’artistes burundais merveilleusement dévoués ? S’agit-il d’un tabou que Buja sans Tabou peut peut-être aussi briser, afin que nous puissions travailler ensemble en tant qu’artistes, indépendamment de la race et de l’origine, pour défendre ensemble les valeurs de notre humanité ?

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